VOA AFRIQUE : Oury Bah, Premier ministre guinĂ©en: “La sociĂ©tĂ© guinĂ©enne est dĂ©complexĂ©e”

Dans son discours Ă  la tribune de l’AssemblĂ©e GĂ©nĂ©rale de l’ONU Ă  New York le 28 septembre, le Premier ministre guinĂ©en Oury Bah a rappelĂ© cette date symbolique de l’indĂ©pendence de la GuinĂ©e en 1958, et du rassemblement tragique en 2009. Avant son intervention, Nathalie Barge lui a demandĂ© quelles sont les attentes de la GuinĂ©e, qui entamme sa 4e annĂ©e de transition militaire depuis le coup d’Etat du 5 septembre 2021.

Oury Bah, Premier ministre guinĂ©en: Le message de la GuinĂ©e, c’est le message de l’espoir, c’est le message pour une prise en compte de maniĂšre beaucoup plus efficiente des problĂ©matiques du dĂ©veloppement des changements climatiques. De l’Ă©lĂ©vation du massif du Fouta-Djallon comme patrimoine mondial de l’Unesco, ce qui contribuera Ă  permettre Ă  15 États de l’Ouest africain de prĂ©server ce massif qui est indispensable pour la sĂ©curitĂ© humaine dans cette zone. La question de l’eau est dĂ©jĂ  prĂ©sente du fait d’une dĂ©sertification du Sahel qui amĂšne des conflits que nous connaissons.

Donc grosso modo, le message de la GuinĂ©e, c’est le message d’un pays qui a une vocation d’ĂȘtre aussi partie prenante dans le dĂ©veloppement durable, dans la participation, pour actualiser et faire bĂ©nĂ©ficier Ă  ces populations des changements technologiques de ces innovations. Et puis qui veut que l’Afrique principalement soit un espace de paix, de sĂ©curitĂ© et de stabilitĂ© pour tous.

Nathalie Barge, VOA: Vous avez Ă©tĂ© nommĂ© Premier ministre le 27 fĂ©vrier, cela fait environ 7 mois. Pourriez-vous nous dire quelles sont vos rĂ©alisations, mĂȘme si c’est un petit peu tĂŽt pour en parler? Et quelle est finalement votre vision pour cette transition?

Oury Bah: Nous sommes trĂšs heureux de constater, ces derniers mois et surtout par exemple, la levĂ©e de la suspension totale de la GuinĂ©e au niveau des instances de l’OIF, ce qui augure d’une bonne perspective et d’une bonne visibilitĂ© de l’action gouvernementale de la GuinĂ©e en ce qui concerne l’extĂ©rieur.

Nous avons rĂ©ussi durant ces derniers mois Ă  finaliser le procĂšs du massacre du 28 septembre 2009, qui est aussi un Ă©vĂ©nement historique pour rompre la longue chaĂźne d’impunitĂ© que notre pays a connu. C’est une premiĂšre pour la GuinĂ©e et c’est une premiĂšre aussi pour le continent africain. (…)

Aujourd’hui, avec l’interconnexion avec le SĂ©nĂ©gal, avec l’apport de moyens pour une production d’Ă©lectricitĂ© plus importante, nous sommes parvenus Ă  stabiliser la situation en attendant qu’il y ait des investissements massifs pour que d’ici l’annĂ©e prochaine, nous puissions rĂ©gler dĂ©finitivement la question de la desserte en Ă©lectricitĂ©. (…)

Un aspect qu’il faut souligner; nous avons rĂ©ussi Ă  finaliser les nĂ©gociations pour l’opĂ©rationnalisation du projet trĂšs important de l’exploitation des mines de fer du Simandou, avec un port minĂ©ralier, 670 km de voies ferrĂ©es multiservices. Ceci est un Ă©lĂ©ment extrĂȘmement important parce que des gĂ©nĂ©rations de GuinĂ©ens depuis l’indĂ©pendance ont rĂȘvĂ© de voir le TransGuinĂ©en se rĂ©aliser, et le TransGuinĂ©en aujourd’hui est en cours de rĂ©alisation avec une co-organisation des intervenants venant de diffĂ©rents espaces gĂ©opolitiques. Vous avez les intĂ©rĂȘts chinois qui cohabitent avec des intĂ©rĂȘts australiens et anglais. Vous avez une compagnie amĂ©ricaine en ce qui concerne les locomotives qui seront issues de l’industrie amĂ©ricaine. Sur des rails qui sont posĂ©s par des intĂ©rĂȘts chinois. (…)

VOA: Au plan politique, un projet de nouvelle Constitution prĂ©sentĂ© fin juillet sera soumis Ă  rĂ©fĂ©rendum avant la fin de l’annĂ©e. Vous avez annoncĂ© vous-mĂȘme que le calendrier pour des Ă©lections ne pourrait pas se tenir en 2024. Alors quelle est votre feuille de route pour sortir de la transition qui a plus de 3 ans dĂ©jĂ ?

Oury Bah: Avec l’accord dynamique que la GuinĂ©e avait conclu avec la CEDEAO, il Ă©tait initialement envisage le retour complet Ă  l’ordre constitutionnel Ă  la fin de cette annĂ©e. Mais des contraintes majeures se sont imposĂ©es Ă  nous, surtout des contraintes financiĂšres et Ă©conomiques qui ont fait qu’il y a eu un certain retard.

Heureusement, dans la relance du processus actuel, le prĂ©sident, le gĂ©nĂ©ral Mamady Doumbouya, a indiquĂ© que l’objectif pour l’annĂ©e 2024, c’est l’organisation du rĂ©fĂ©rendum constitutionnel d’ici la fin de l’annĂ©e, et le gouvernement, les structures dĂ©diĂ©es au processus Ă©lectoraux et le CNT travaillent d’arrache-pied pour que ce rendez-vous soient maintenus et rĂ©alisĂ©s.

C’est la raison pour laquelle, d’ores et dĂ©jĂ , je dois vous dire que l’avant projet constitutionnel est en cours de diffusion, il y a des Ă©changes autour et j’estime et j’espĂšre que d’ici dĂ©cembre on pourrait organiser ce rĂ©fĂ©rendum constitutionnel dans une ambiance de fraternitĂ© et de convivialitĂ© dĂ©mocratique.

A la suite de cela, pour le l’annĂ©e 2025, contrairement Ă  ce qui a Ă©tĂ© pensĂ© auparavant, nous renverserons l’ordre des Ă©lections. Donc, aprĂšs le rĂ©fĂ©rendum constitutionnel, nous irons directement Ă  la prĂ©sidentielle pour parachever ce processus qui, pour la mise en force des institutions de la RĂ©publique, nĂ©cessite que le pouvoir exĂ©cutif soit dĂ©mocratiquement installĂ©, afin de permettre la suite, selon un calendrier, un agenda, et dans une logique de stabilisation, tout en instituant ces nouvelles institutions de la RĂ©publique.

VOA: L’on sait que, selon la charte de la transition, les militaires ne peuvent pas se prĂ©senter Ă  des Ă©lections. Toutefois, nous avons entendu rĂ©cemment le porte-parole de la prĂ©sidence, et aussi celui du gouvernement, dire qu’ils ne verraient pas d’inconvĂ©nients Ă  ce que Monsieur Mamady Doumbouya puisse se presenter. Est-ce que cela veut dire que, Ă  un moment donnĂ©, on pourrait faire sauter ce verrou et que effectivement les militaires, en tout cas, le gĂ©nĂ©ral Mamady Doumbouya pourrait se prĂ©senter?

Oury Bah: La question fondamentale autour de l’avant projet constitutionnel et l’esquisse de la proposition constitutionnelle, c’est de faire en sorte que personne ne soit exclu, disons, de l’espace dĂ©mocratique, donc de l’espace susceptible de faire Ă©merger des hommes et des femmes de valeur pour aller Ă  la conquĂȘte du suffrage universel.

Donc aussi bien le gĂ©nĂ©ral Mamadi doumbouya que d’autres dans le cadre du Rassemblement, disons, de faire en sorte que la Constitution ne soit pas orientĂ©e de maniĂšre personnelle, il va de soi que tous les cas de figure que vous avez esquissĂ©s sont tout Ă  fait possibles.

VOA: Monsieur le Premier ministre, vous avez Ă©tĂ© opposant; aujourd’hui, les GuinĂ©ens sont toujours interdits de manifestation. Quelle est la position du gouvernement pour justifier cette mesure en vigueur?

Oury Bah: Vous savez, lorsqu’on a traversĂ© plusieurs Ă©preuves, ce sont des leçons qui permettent d’envisager le prĂ©sent et le futur sous d’autres auspices. Nous avons vu par exemple, le 28 septembre 2009, une manifestation pacifique qui Ă©tait bon enfant en dĂ©but de matinĂ©e, se transformer en un carnage humain.

Donc nous sommes instruits par ces Ă©preuves qui sont dures et c’est la raison pour laquelle, dans un contexte de refondation -avec des fragilitĂ©s de nos institutions, avec des vellĂ©itĂ©s de restauration du systĂšme aboli le 5 septembre 2021- les hommes et les femmes de la GuinĂ©e doivent faire preuve de prudence et de responsabilitĂ©, ne pas s’engager tĂȘte baissĂ©e dans des logiques susceptibles d’accroĂźtre la fragilitĂ© du processus politique en cours et des institutions qui sont en train d’ĂȘtre dĂ©finies.

(…) Les divergences politiques sont nĂ©cessaires, les divergences politiques doivent s’exprimer, mais le contexte de la fragilitĂ© de nos institutions devrait amener les uns et les autres Ă  faire preuve de patience, Ă  faire preuve de rĂ©silience et surtout, Ă  faire preuve de responsabilitĂ©. Lorsque la situation s’amĂ©liorera, les institutions dĂ©mocratiques seront installĂ©es, il va de soi, libre Ă  chacun d’exprimer, par les voies dĂ©mocratiques et lĂ©gales, leurs divergences.

VOA: Monsieur le Premier ministre, qu’en est-il aujourd’hui des quatre radios et deux chaĂźnes de tĂ©lĂ©vision privĂ©es qui ont Ă©tĂ© suspendues? De nombreuses personnes ont Ă©tĂ© mises au chĂŽmage. Est-ce que vous avez envisagĂ© des mesures pour discuter avec les mĂ©dias afin qu’ils puissent reprendre le travail, tout en respectant la dĂ©ontologie?

Oury Bah: Je comprends la souffrance des agents, des techniciens, des journalistes, qui hier avaient une source de revenus et qui se retrouvent aujourd’hui au chĂŽmage. Mais je dois dire que dans un context -comme je l’ai dit tout Ă  l’heure- de fragilitĂ© des institutions, des risques majeurs que le pays peut courir de part et d’autre, aussi bien les hommes politiques que les hommes des mĂ©dias devraient faire prevue de cette responsabilitĂ©, qui devrait les amener Ă  savoir jusqu’oĂč on peut aller dans une certaine maniĂšre de traiter la communication.

DĂšs que j’ai Ă©tĂ© nommĂ©, quelques semaines aprĂšs, j’ai tendu la main aux mĂ©dias. Je leur ai demandĂ©, trouvons les la dĂ©marche la plus adaptĂ©e pour nous permettre de construire ensemble ce processus politique majeur.

Mais lorsque j’avais obtenu tous les accords nĂ©cessaires, malheureusement, c’est Ă  ce moment-lĂ  que certains, au lieu de prendre la main tendue, se sont comportĂ©es de maniĂšre infantile, qui ont amenĂ© Ă  ce que nous considĂ©rions que la stabilitĂ© et la sĂ©curitĂ© nationale valent mieux que de laisser libre cours Ă  des mĂ©dias qui peuvent, dans la culture de la haine, de la dĂ©rision, jusqu’Ă  ĂȘtre tout Ă  fait Irresponsables.

Nous avons estimĂ© que la stabilitĂ© du pays est prĂ©fĂ©rable Ă  toute autre considĂ©ration. Nous ne voulons pas faire vivre Ă  la GuinĂ©e ce que la CĂŽte d’Ivoire avait connu en 2010 et ce que le Rwanda avait connu en 1990.

VOA: À propos des deux responsables du FNDC qui ont disparu, les autoritĂ©s guinĂ©ennes avaient dit ne pas ĂȘtre responsables de leur enlĂšvement et avaient dit Toutefois faire une enquĂȘte. OĂč en ĂȘtes-vous dans cette enquĂȘte aujourd’hui?

OURY BAH: Les enquĂȘtes se poursuivent. Personnellement, je tiens Ă  ce que l’on sache oĂč est-ce qu’ils sont, et leur sĂ©curitĂ© nous importe Ă  nous tous. Et c’est pour cela que nous suivons avec grand intĂ©rĂȘt l’Ă©volution de cette situation. Et c’est pour dire Ă©galement, la culture politique qui Ă©tait une culture marquĂ©e par la violence, par l’exacerbation des principes de Machiavel doit laisser libre cours Ă  une autre approche.

Entre les deux, il y a une confrontation actuellement. Comme vous le savez, rĂ©cemment, il y a des hommes qui sont en arrestation et qui sont extradĂ©s et certains vont l’ĂȘtre, surtout des gens qui Ă©taient en train d’envisager des plans de dĂ©stabilisation de la GuinĂ©e.

Dans ce contexte, imaginez qu’aucun responsable suffisamment conscient des enjeux et des intĂ©rĂȘts de son pays ne ne peut rester inactif lorsque la sĂ©curitĂ© nationale peut ĂȘtre dĂ©stabilisĂ©e par une vellĂ©itĂ© de retour Ă  un ordre ancien qui n’est plus d’actualitĂ©.

VOA: Vous avez Ă©tĂ© par le passĂ© Ă©galement accusĂ© notamment de dĂ©stabiliser le pays, vous avez Ă©tĂ© en exile, vous avez subi une arrestation… Est-ce que cela vous permet de pouvoir traiter ces choses en connaissance de cause par rapport, finalement, Ă  certaines rĂ©alitĂ©s politiques?

OURY BAH: C’est vrai, c’est cette expĂ©rience qui m’amĂšne Ă  parler, Ă  tenter de parler aux uns et aux autres en leur disant, nous avons eu des expĂ©riences difficiles, douloureuses. Prenez en compte notre propre expĂ©rience pour avoir une dĂ©marche qui puisse vous permettre de faire prĂ©valoir vos idĂ©es mais tout en sauvegardant l’essentiel qu’est la stabilitĂ© et la sĂ©curitĂ© nationale. Malheureusement, certains n’ont pas entendu ça, ou n’ont pas encore une culture de prendre en compte les leçons du passĂ©.

Mais, progressivement, la sociĂ©tĂ© GuinĂ©enne est en train de se rĂ©concilier avec elle-mĂȘme. La culture d’apaisement est en train de faire sa dĂ©marche. Je l’ai constatĂ© ici Ă  New York, oĂč la CommunautĂ© guinĂ©enne, dans une large frange de l’opinion, cherche beaucoup plus Ă  trouver des rĂ©ponses concrĂštes aux questions essentielles de la vie. (…)

VOA: Monsieur le Premier ministre, vous avez parlĂ© tout Ă  l’heure du procĂšs du 28 septembre, pĂ©riode trĂšs douloureuse de la GuinĂ©e. (…) Qu’en est-il des rĂ©parations pour les nombreuses femmes violĂ©es. Est-ce qu’elles vont ĂȘtre effectives rapidement, sachant que ces dames, ces victimes, attendent depuis 15 ans maintenant?

OURY BAH: (…) Pour les femmes victimes de cette violence barbare en 2009 d’ores et dĂ©jĂ  des fonds allouĂ©s Ă  la rĂ©paration et Ă  la compensation sont dĂ©jĂ  en train d’ĂȘtre progressivement abondĂ©s pour nous permettre de satisfaire cette lĂ©gitime revendication des femmes, qui pendant plus de 15 ans ont Ă©tĂ© complĂštement dĂ©structurĂ©es et donc nous devons le plus rapidement possible contribuer Ă  cette forme de compensation et de reparation (…)

VOA: Monsieur Oury Bah, votre gouvernement comporte environ 18% de femmes ministres, ce qui ne satisfait pas les groupes de femmes politiques et militantes, qui vous ont exposĂ© d’ailleurs cette question. Elles ont aussi Ă©tĂ© déçues dans le cadre de nominations au sein de cabinets ou administrations. En revanche, elles sont quasiment 30% au CNT. Alors comment peut-on expliquer ce faible taux de femmes au gouvernement? Est-ce que vous avez engagĂ© des mesures particuliĂšres pour assurer leur juste reprĂ©sentativitĂ© au sein des institutions de l’État?

OURY BAH: Bon, on va rĂ©parer ça. C’Ă©tait des questions, disons, de casting de derniĂšre minute. Mais l’objectif Ă©tait d’avoir au moins 30% de reprĂ©sentation fĂ©minine au sein du gouvernement. Mais bon, c’est une parenthĂšse, dans quelques temps les choses revenir Ă  la normale. (…) Nous avons dans l’Ă©quipe gouvernementale des femmes fortes et j’espĂšre que dans les temps Ă  venir, la reprĂ©sentation fĂ©minine va s’Ă©largir au niveau de tous les secteurs de la sociĂ©tĂ© administrative, du territoire et bien entendu aussi au niveau du secteur privĂ©, donc c’est une dynamique globale.

La question de la femme, ce n’est pas simplement les questions de poste, c’est des questions de centrer les prĂ©occupations essentielles des politiques publiques autour des problĂ©matiques que les femmes incarnent, parce que, en allant dans cette direction, on rĂ©pondra effectivement Ă  la problĂ©matique de la sociĂ©tĂ© globale.

VOA: Monsieur le Premier ministre, la GuinĂ©e a perdu son statut de bĂ©nĂ©ficiaire de l’AGOA. Est-ce que le gouvernement dĂ©ploie des efforts actuellement pour ĂȘtre rĂ©intĂ©grer dans ce programme amĂ©ricain? Autrement dit, quels sont vos rapports au plan Ă©conomique et diplomatique avec les Etats-Unis?

OURY BAH: Par rapport Ă  cet aspect, nous allons rencontrer des autoritĂ©s amĂ©ricaines et nous Ă©voquerons la question. (…) Par exemple, l’OIF a rĂ©intĂ©grĂ© totalement la GuinĂ©e, et c’est un cas de jurisprudence parce que d’habitude, tant que vous n’ĂȘtes pas revenu Ă  l’ordre constitutionnel, la sanction demeure. Mais il faut ĂȘtre proactif et prendre en compte l’Ă©volution des États et des sociĂ©tĂ©s. (…) La jurisprudence introduite par l’OIF doit ĂȘtre prise en compte par d’autres organisations. C’est le cas notamment entre la GuinĂ©e et la Cedeo. La sanction a Ă©tĂ© levĂ©e.

Donc la question fondamentale de l’approche diplomatique internationale aujourd’hui, ce n’est pas avoir une attitude manichĂ©enne qui consiste Ă  sanctuariser un ordre constitutionnel, n’importe lequel, alors que trĂšs souvent les pouvoirs en place en situation de responsabilitĂ© violent allĂšgrement l’ordre constitutionnel tel que prĂŽnĂ© par le systĂšme des Nations Unies.

Il faut revoir les choses, pour ĂȘtre en phase avec l’Ă©volution du monde et l’Ă©volution des mentalitĂ©s, la volontĂ© de changement des peuples qui aspirent Ă  ĂȘtre mieux gouvernĂ©s, et avoir des États qui prennent en compte une certaine forme de lĂ©gitimation auprĂšs de l’attente et des aspirations de l’Ă©crasante majoritĂ© de leur peuple.

VOA: Le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont aussi des rĂ©gimes militaires issus de coups d’État comme la GuinĂ©e. Toutefois, l’on remarque un certain recul de la GuinĂ©e par rapport Ă  ces trois pays qui ont crĂ©Ă© l’AES et qui se sont donc exclus, on va dire, des organismes existants et qui font route de leur cĂŽtĂ©. Est-ce que l’on a reprochĂ© Ă  la GuinĂ©e de faire, en quelque sorte, “bande Ă  part”, ou autrement dit, quel est votre vision sur ces pays et votre mode de communication avec eux dans la rĂ©gion?

OURY BAH: La GuinĂ©e est un pays qui a une histoire politique trĂšs riche et trĂšs dense. Nous sommes le premier pays Ă  accĂ©der Ă  l’indĂ©pendance avec le non au gĂ©nĂ©ral De Gaulle en 1958. Nous avons Ă©tĂ© l’un des pays Ă  contribuer Ă  la libĂ©ration du continent en impliquant les forces de dĂ©fense. (…)

Nous avons aussi quelque chose de fondamental, la sociĂ©tĂ© guinĂ©enne, c’est une sociĂ©tĂ© dĂ©complexĂ©e. Nous n’avons pas le complexe de dire que nous sommes sous l’influence de telle ou telle puissance. Pour actualiser nos potentialitĂ©s, nous coopĂ©rons avec le monde entier. Nous prenons en compte nos intĂ©rĂȘts spĂ©cifiques, les intĂ©rĂȘts de la sous-rĂ©gion et bien entendu, le partage des intĂ©rĂȘts avec des pays susceptibles de nous accompagner lĂ  oĂč nous avons des lacunes ou des faiblesses.

Hier (le 24 septembre), j’Ă©tais en appartĂ© avec un ministre malien. Je leur ai dit, vous avez la possibilitĂ© de rester dans l’AES, mais sachez que l’AES peut ĂȘtre une sous-organisation dans le cadre de la Cedeao de maniĂšre globale. (…) Il ne faut pas se dĂ©tourner de l’organisation qui a plus de 50 ans. Elle a des faiblesses. En tant que GuinĂ©e, nous avons eu des rĂ©criminations Ă  son Ă©gard, mais nous sommes conscients de notre responsabilitĂ©. C’est la raison pour laquelle nous restons et nous voulons que la cedeao se rĂ©forme de l’intĂ©rieur, soit plus en phase avec les Ă©coutes, les besoins et les problĂ©matiques nouvelles.

Pour les questions de sĂ©curitĂ©, bien avant cette pĂ©riode, nous avions insistĂ© sur l’inefficacitĂ© ou le retrait -pour des raisons qui lui sont propres- de la Cedeao dans la recherche des voix et moyens de la stabilisation du Sahel au profit du G 5 qui a Ă©tĂ© mise en place par les pays d’alors, et donc en ne prenant pas en compte la dimension sĂ©curitaire. (…) Nous sommes tous coresponsables et c’est la dynamique actuelle que la GuinĂ©e va mettre en place pour tenter de convaincre les uns et les autres. (…)

VOA: Monsieur le Premier ministre, vous avez parlĂ© des ressources naturelles et des collaborations avec des multinationales australiennes, chinoises, amĂ©ricaines, et cetera. La GuinĂ©e possĂšde la plus grande rĂ©serve du monde. Il y a le minerai de fer, un fort potentiel l’hydroĂ©lectrique. Il y a l’or, le diamant, d’autres rĂ©serves Ă  dĂ©couvrir, et tout cela est exploitĂ© en collaboration avec des multinationales, comme toujours. De nombreux GuinĂ©ens vivent dans l’extrĂȘme pauvretĂ©. Est-ce que l’on peut s’assurer qu’à travers tous ces projets, toutes ces promesses, la population va retrouver ce qui lui est dĂ»?

OURY BAH: Je dois dire que c’est un impĂ©ratif. (…) Par rapport aux investisseurs. Nous ne voulons pas ĂȘtre dans une Ă©conomie de rente, nous voulons que cette Ă©conomie soit davantage diversifiĂ©e. C’est la raison pour laquelle les projections du Simandou 2040 vont dans le cadre du dĂ©veloppement du secteur privĂ©, l’un des atouts majeurs permettant le dĂ©collage Ă©conomique, une croissance durable effective, et des emplois en abondance pour satisfaire l’attente de millions de jeunes qui, chaque annĂ©e, se dĂ©versent au niveau de du marchĂ© de l’emploi.

(…) Nous ne voulons pas ĂȘtre un pays uniquement exclusivement tournĂ© sur les Mines. La transformation que nous sommes en train de rechercher pour avoir plus de valeur ajoutĂ©e permettra d’utiliser les compĂ©tences. Nous allons, dans le cadre du dĂ©veloppement du capital humain, lancer des appels pour que les jeunes soient formĂ©s (…) Le gouvernement guinĂ©en va accompagner ce processus avec tact, avec intelligence, avec dĂ©termination, parce que c’est cela qui va contribuer Ă  faire que nous soyons au rendez-vous dans la dĂ©cennie prochaine.

Nathalie Barge, VOA